Le Huffington Post – « L’échec français des intercommunalités »

Le Huffington Post – « L’échec français des intercommunalités »

Retrouvez infra la tribune de Jean-Luc Monteil, président du MEDEF Provence-Alpes-Côte d’Azur, publiée dans Le Huffington Post.

 

« L’échec français des intercommunalités »

Le succès était programmé. On allait voir ce qu’on allait voir, le millefeuille communal n’avait qu’à bien se tenir… Mais voilà, depuis vingt ans que la France s’est couverte d’intercommunalités, le succès a un goût amer. Et ce n’est pas les futurs schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI), enfants de la loi NOTRe arrêtés le 15 juin dernier pour entrer en vigueur le 1er janvier 2017, qui devraient changer la donne. Retour sur un échec français.

Communautés urbaines, de communes ou d’agglomération, le nombre d’intercommunalités a quintuplé depuis plus de vingt ans, passant de 466 en 1993 à 2 456 en 2013. À la faveur des différentes étapes de son importante histoire législative – loi « ATR » du 6 février 1992 qui donne naissance aux communautés de communes, loi « Chevènement » du 12 juillet 1999 créatrice des communautés d’agglomération, loi du 13 août 2004 qui encourage (déjà !) les fusions de communautés, loi du 16 décembre 2010 initiatrice des métropoles, lois MAPTAM (2014) et NOTRe (2015) qui parachèvent la métropolisation et donnent un coup de rabot à la carte intercommunale -le maillage s’est ainsi considérablement densifié pour couvrir aujourd’hui 98,3% des municipalités, contre seulement 14% vingt-cinq ans en arrière. En parallèle, les compétences des structures intercommunales se sont largement étoffées, allant du développement économique à la gestion des déchets ou de la voirie en passant par le tourisme, la politique locale du commerce et l’aménagement du territoire.

Conçue à l’origine comme un remède à l’émiettement des municipalités (rappelons qu’une commune sur deux compte moins de 500 habitants !), l’intercommunalité, qui s’est même parée d’une association pour défendre ses propres intérêts – l’Assemblée des Communautés de France (AdCF), cousine germaine de l’Assemblée des Départements de France (ADF) et de l’Association des Régions de France (ARF) -, apparaît sur le papier comme un succès que peu ose remettre en question.

Pourtant, en grattant un peu, en soulevant l’épais tapis de la carte intercommunale et du millefeuille administratif dans son ensemble, la réalité est bien plus contrastée. La question du coût budgétaire des intercommunalités se pose en premier lieu avec acuité. En effet, en trente ans, les dépenses des différentes structures intercommunales ont progressé de 43,4% tandis que le nombre de leurs agents a plus que doublé entre 2000 et 2010 ( 103%), et ce alors que les communes -à rebrousse-poil de la promesse de rationalisation- n’ont su stabiliser leurs effectifs ( 8% sur la même période). Or, comme le souligne l’économiste Christian Saint-Etienne, « moins d’un tiers de la hausse des effectifs des intercommunalités » s’explique par les nouvelles missions attribuées par la loi.

Synchroniquement, comme le révèle une enquête de la Fondation iFRAP, près de 40% des maires interrogés considèrent que « les transferts de personnels accompagnant le transfert de compétences vers l’intercommunalité ne se sont pas concrétisés« . Résultat : chaque échelon a continué à recruter de son côté, doublonnant les effectifs et grevant un peu plus les budgets municipaux et intercommunaux. Un constat confirmé par la Direction générale des collectivités locales selon qui « l’accélération de l’accroissement des dépenses des groupements n’a malheureusement pas été compensée par une diminution de celle des communes« .

Autre grief : le nombre d’élus communautaires. Avant 2010, les états-majors des intercommunalités s’avéraient bien souvent pléthoriques : la communauté urbaine de Rouen comptait ainsi 45 vice-présidents, celle de Lyon en disposait de 40 contre 33 à Nantes ou à Marseille et 27 à Nice. La gabegie – pour ne pas parler de clientélisme (!) – était telle que le législateur a dû fixer un seuil limite de vice-présidents (désormais établi à 15) dans la loi du 16 décembre 2010. Au total, le coût de ces exécutifs a augmenté de 27,8% entre 2007 et 2010, alors que le nombre de groupements de communes est, quant à lui, resté stable sur la période. Un modèle de bonne gestion…

Autre point d’achoppement: la fiscalité. Ainsi, comme le soulignait la Cour des Comptes fin 2009, le développement de l’intercommunalité s’est accompagné d’une importante augmentation des impôts locaux: 96% pour la taxe d’habitation et 72% pour la taxe foncière au cours de la première décennie des années 2000. Du côté des entreprises, la fiscalité économique n’est pas en reste. En Provence-Alpes-Côte d’Azur par exemple, la fiscalité moyenne par salarié accuse une progression de 14,9% pour la métropole Aix-Marseille entre 2011 et 2014, suivie de près par la métropole Nice Côte d’Azur ( 12,8%), la communauté d’agglomération Toulon Provence Méditerranée ( 12%) ou encore le Grand Avignon ( 10,6%). Des évolutions totalement déconnectées de la réalité économique et qui viennent s’ajouter à la « surfiscalité » généralisée qui frappe déjà les entreprises tricolores (la France détenant le record européen du taux d’imposition des sociétés).

En définitive, en dépit des efforts de rationalisation impulsés par les lois du 16 décembre 2010, MAPTAM et NOTRe, force est de reconnaître que l’ambition originelle allouée aux intercommunalités – en l’occurrence mutualiser les moyens des communes pour offrir des services publics locaux d’une meilleure qualité à moindre coût – a ni plus ni moins été dévoyée.

Le maintien de nos 36.000 municipalités (soit 40% de l’Union européenne) comme des départements (sauvés in extremis des griffes de la réforme territoriale) n’a dès lors permis ni de rationaliser le millefeuille communal, ni de désépaissir l’épais matelas budgétaire des collectivités territoriales, signant au passage l’échec de l’intercommunalité.

18/07/16
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