Le Nouvel Économiste – « Bureaucratisme : le concept de simplification administrative a fait long feu »

Le Nouvel Économiste – « Bureaucratisme : le concept de simplification administrative a fait long feu »

Retrouvez infra un article du Nouvel Économiste sur la simplification administrative au sein duquel est cité Jean-Luc Monteil, président du MEDEF Provence-Alpes-Côte d’Azur.

 

« Bureaucratisme : le concept de simplification administrative a fait long feu »

L’effroyable machine à produire du texte et des autorités continue de tourner à plein régime. Ce drame si français se joue en 3 actes Le premier mobilisant toutes les ressources de l’intelligente finesse nationale permet de dresser l’impitoyable constat de la complexité labyrinthique de l’administration françaises. Normes, Lois, codes et autres textes sédimentés, empilées, stratifiés, au fil du temps balisent toutes activités jusqu’à la freiner, la décourager. Acte 2, le politique, son principal responsable, entre en scène, convaincu des ravages du mal bureaucratique et lance à son assaut, après moult exhortations, missions et autres lucides rapports, le “choc de simplification”. Las, là où effectivement il fallait un électrochoc, une aimable homéopathie n’a pas réussi à égratigner le virus.

Acte 3 Timidement attaqué, le mal se venge férocement. Non seulement la médecine, sans doute trop timide, n’était pas à la mesure de l’affection mais, pire, durant le traitement, nombres de textes, lois et autres dispositions prolifèrent tandis que de nouveaux organismes – agences, comités, conseils – sur-rajoutent leur complexité. Sans doute ces gouvernants n’avaient-ils pas lu Albert Einstein : “La bureaucratie est la mort de toute action.”

Il est une inflation, corrosive, qui ne se dément pas au fil des mois. Au contraire. La silencieuse et si discrète inflation normative – 400 000 normes recensées – hisse la France dans l’enfer des pays les plus “complexes”. Ce pays est littéralement asphyxié par la multiplication de textes balisant toute l’activité économique – 3 700 pages pour son Code du travail, 3 800 pour celui des impôts, autant pour celui de l’urbanisme, sans oublier quelque 10 500 lois. Ce qui lui vaut d’ailleurs ce quasi-record mondial décerné par le Forum économique mondial dans l’édition 2015 de son ‘Global Competitiveness Report’ : en termes de fardeau administratif, sur 144 pays classés, nous occupons le 121e rang mondial. Un poids qui, comme chacun le sait, est un élément décisif autant que négatif de la compétitivité.

Le triple dégât

Les dégâts d’une telle prolifération sont bien identifiés. Les enjeux sont de trois ordres. Économiques, tant l’instabilité comme la complexité du corpus juridique allongent les délais, alourdissent les procédures et les coûts des projets, et entravent donc l’activité économique. Budgétaires, car ce véritable labyrinthe de réglementations se transforme en charges pesant sur les différents acteurs (entreprises, collectivités territoriales) souvent hors de proportion avec les objectifs visés. Enfin, l’enjeu est évidemment démocratique, car si nul n’est censé ignorer la loi, cette dernière doit être simple et accessible à tous, et non le privilège de quelques initiés.

Au niveau macroéconomique, selon les estimations de la Commission européenne, une réduction de 25 % des charges administratives pesant sur les entreprises permettrait une augmentation de 0,8 % du PIB européen à court terme et de 1,4 % à plus long terme. Au niveau des entreprises, le coût de fabrication et de gestion d’une feuille de paie est estimé de 50 à 150 euros par salarié et par mois en moyenne. Afin d’alléger cette facture, le regroupement des différents collecteurs, donc la réduction du nombre de lignes, procurerait d’appréciables économies. Or, dans ce contexte de globalisation – provoquant la multiplication des échanges, donc des formalités – et de numérisation permettant de simplifier le recueil et le transfert de données, les entrepreneurs voient de plus en plus leur stratégie contrariée, inhibée, par cette marée montante de formalités.

La belle ambition

Avec ses allures de consensus mou, de ras-le-bol généralisé, la prise de conscience a cependant fini par mobiliser les principaux responsables, les politiques. En 2013, François Hollande fait même du “choc de simplification” une priorité nationale. Vaste chantier. Affichage impressionnant d’ambitions et de résolutions. Suite aux contributions des entreprises, des organisations professionnelles, des administrations centrales, des préfets, et des agents publics, plus de 900 mesures sont ainsi suggérées.

Le 17 juillet 2013, déclaration de guerre au mille-feuille administratif français : le gouvernement dégaine les 200 premières mesures de son programme destinées à simplifier la vie quotidienne des Français et des entreprises, mais aussi de l’administration. À l’époque, le gouvernement évalue les économies induites par cette vaste réforme structurelle à 11 milliards d’euros d’ici à fin 2016. En effet, 50 nouvelles mesures pour les entreprises sont annoncées en avril 2014, puis en octobre 2014 et en juin 2015. Un Conseil national d’évaluation des normes est créé par la loi du 17 octobre 2013, puis installé en juillet 2014. Tandis qu’un Conseil de simplification, co-présidé par Guillaume Poitrinal et Thierry Mandon, travaille à la mise en œuvre des mesures adoptées.

Campagne qualifiée de “grande cause nationale” par Emmanuel Macron, elle s’alimente de décisions opérationnelles : les permis de construire pourront s’obtenir en moins de 5 mois, les entreprises n’auront plus qu’une déclaration fiscale unifiée, un coffre-fort numérique sera attribué à tous les jeunes, et surtout, le principe du “qui ne dit mot consent” selon lequel le silence de l’administration vaut accord, est adopté. Enfin, le fameux principe britannique du “one in, one out” fut adopté : chaque nouveau coût pour les entreprises décidé par l’État devra être compensé par une réduction équivalente. Au Royaume-Uni, il est d’ailleurs passé au “one in, two out”, imposant de supprimer deux normes chaque fois que le législateur en ajoute une. Ainsi une circulaire du 17 juillet 2013 prévoit-elle que toute nouvelle norme – de niveau réglementaire, hors dispositions portant première application des lois ou transposition de textes européens notamment – créant des charges nouvelles devra être “gagée” par la suppression ou l’allégement d’une norme ancienne qui faisait porter une charge équivalente. Ce principe concerne les normes applicables aux collectivités territoriales, mais également celles applicables aux entreprises et au public.

Le 2 janvier 2014, une loi prévoit notamment l’allégement des obligations comptables bénéficiant au 1,3 million d’entreprises de moins de 50 salariés, et le développement de la facturation électronique entre l’État et ses fournisseurs. Un Marché public simplifié (MPS) est créé afin de faciliter l’accès des entreprises aux marchés publics. Depuis novembre 2014, le service peut accueillir tous les types d’appel d’offres. Il a été étendu en juin 2015 aux marchés à procédure adaptée de l’État. 5 500 marchés simplifiés ont été publiés et ont bénéficié à 20 000 entreprises. Enfin, la déclaration sociale nominative (DSN) devient progressivement obligatoire en 2016. Elle va remplacer l’ensemble des déclarations sociales adressées par les employeurs aux organismes de protection sociale.

Une exécution calamiteuse

Les intentions étaient belles, l’ambition honorable. L’exécution plutôt du registre du calamiteux. Irrésolution, procrastination puis déceptions ? Les résultats se sont fait attendre, mais pas le désenchantement, plutôt présent du côté des chefs d’entreprise. Les lenteurs de la machinerie étatique exaspèrent. Le 14 janvier 2014, le président de la République annonce le Pacte de responsabilité mais ses premières mesures ne seront concrètement mises en œuvre qu’au 1er janvier 2016 ; après presque deux ans d’atermoiements parlementaires. Séquence bien trop longue pour répondre aux exigences d’entreprises agiles, d’une micro-économie réactive. Les effets d’annonce sont bien vite dilués dans les lenteurs improbables de l’exécution.

Il y a quelques semaines, dans ‘Les Échos’, l’un des initiateurs de la réforme, Guillaume Poitrinal, l’un des artisans les plus actifs dans cette bataille, clamait haut et fort son indignation et sa désillusion : “De nombreuses mesures sont restées lettre morte, perdues dans les méandres administratifs de leur mise en œuvre, mises sous le boisseau. Des thèmes­ ont été esquivés, jugés trop sensibles. Et puis, surtout, l’effroyable machine à produire du texte et des autorités a continué de tourner à plein régime. Les lois Duflot, pénibilité, transition énergétique, économie sociale et solidaire… ont ajouté de la complexité. Cette inflation de textes, déconnectés du terrain, torturés par des amendements hirsutes, établis sur la base d’études d’impact indigentes et de concertations frelatées, exprimés dans une langue incompréhensible est devenue une caractéristique du pays.” Fermez le ban !

La simplification vaincue par la complexité

Le chantier de la simplification lui-même a succombé au péché originel de la complexification : un dispositif comprenant 10 ateliers de patrons dialoguant “à tout niveau”. Avec les administrations. Ensuite, un conseil de 17 membres prépare des textes de simplification opérationnels. Mais deux administrations s’en mêlent, le secrétariat général du gouvernement et le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique, “la tutelle est tantôt à l’Élysée, tantôt à Matignon, et un secrétaire d’État avec son propre cabinet (…) vient compléter le tableau” constate Guillaume Poitrinal, qui propose une méthode plus efficace : “chaque nouvelle mesure devrait être confiée à un haut responsable ‘identifié’, avec son calendrier d’actions. Enfin, un audit annuel indépendant ferait la lumière sur les avancées réelles”. Il est vrai que le mélange des mesures de simplification de l’État avec la mission de modernisation de l’État n’est pas vraiment une garantie d’efficience.

Un dirigeant d’entreprises, Jean-Luc Monteil, en pointe précisément les défauts : “L’initiative allait dans la bonne direction mais les fruits tardent à mûrir. Surtout, elle s’est fracassée sur les zigzags permanents – pour ne pas dire louvoiements – du gouvernement : le compte pénibilité constitue ce faisant l’incarnation parfaite du ‘choc de complexification’ dont nos élus – si peu au fait du quotidien d’une entreprise – ont le secret. Une démarche qui s’inscrit à rebours de la simplification promise ici et là et, de surcroît – en coûtant 15 milliards d’euros par an en vitesse de croisière –, ne pourra que nuire un peu plus à la compétitivité de nos entreprises”.

Sur un ton polémique, son registre habituel, Sophie de Menthon enfonce le clou : “De qui se moque-t-on ? Les mesures prises ne simplifient que le travail de l’administration, pas celui des entreprises. La grogne monte de partout dans toutes les professions, dans toutes les PME, les mensonges s’empilent au rythme des promesses. La simplification est non seulement un leurre mais nous vivons une complexification sans précédent, assortie d’un zèle remarquable et unique des administrations chargées des contrôles, à croire qu’elles sont payées au rendement”. Un benchmark avec les autres pays, un organisme ayant un véritable pouvoir de décision et d’autorité seraient sans doute plus adaptés à la mesure de cette envahissante complexité qui nécessite une chirurgie de guerre, mais à laquelle on a préféré un traitement par médecine douce. Sans doute trop douce.

20/07/16
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